Chapitre I
La nuit était tombée sur la rivière N’Golo et la grande roue à aubes du steamer brassait des mètres cubes d’eau boueuse. Sur chaque rive, la forêt équatoriale retentissait de ses mille bruits coutumiers, cris d’animaux faisant songer à des grincements de scies, des fanfares de trompettes, des battements de fer contre fer, des rires de déments avec, tout en haut de cette gamme barbare, des plaintes de flûtes enrouées.
À l’arrière du bateau, l’homme accoudé à la lisse semblait écouter cette rumeur de jungle avec ravissement. À vrai dire, ce n’était guère la première fois qu’il l’entendait, il s’en fallait de beaucoup, mais chaque fois cependant, il y trouvait un plaisir renouvelé, un peu comme un ivrogne ne cesse de trouver sa joie dans l’alcool.
L’homme redressa sa haute taille et la lumière de la lune éclaira en plein son visage bronzé et dur, aux pommettes saillantes, au menton volontaire et au front surmonté de cheveux drus et noirs, taillés en brosse. Un léger sourire retroussa sa lèvre supérieure. « Allons, songea-t-il, je ne serai jamais qu’un civilisé manqué. Peut-être ai-je le complexe de Tarzan et va-t-on un jour me retrouver en pleine jungle, vêtu d’une peau de bête et en train, du haut de mon arbre, de faire des grimaces aux voyageurs de passage… »
Cela faisait près d’un mois maintenant qu’il avait quitté Paris à destination du Centre-Afrique et, le lendemain, il arriverait à Walobo, ce poste avancé de la civilisation au cœur même de la forêt primitive. Walobo, où l’attendait son ami Allan Wood, le chasseur de fauves, sorte de jeune Trader Horn, mordu lui aussi par la sauvagerie africaine, mais au point de s’y être fixé définitivement, comme l’avait fait son père avant lui en compagnie de ses fusils et de ses chiens, pour y attendre les riches touristes désireux de connaître, sans courir trop de risques bien sûr, les émotions de la chasse aux grands fauves.
L’homme aux cheveux en brosse se rendait à Walobo pour goûter lui-même à ces émotions mais, au lieu de se servir d’une carabine, il comptait faire usage d’une simple caméra munie d’un téléobjectif. Jadis, il avait lui-même tué, attendu que la bête furieuse fût à quelques mètres seulement pour presser la détente, mais rapidement il n’avait plus trouvé dans cet exploit barbare, ce meurtre gratuit, qu’une fugitive allégresse, suivie d’un goût de cendres. Avec une caméra au contraire, il fallait attendre que l’animal s’encadre dans le viseur jusqu’à l’occuper tout entier, déclencher aussitôt et sauter de côté pour éviter la charge fatale. Cela n’allait pas sans risques, évidemment, mais, cette fois, le moment critique était à jamais fixé par l’image et le plaisir demeurait, sans amertume…
Là-bas, un bruit venu de derrière l’angle des cabines détourna l’attention de l’homme. Un bruit de voix, accompagné d’un bruit de lutte. Pourtant, l’homme ne broncha pas. Il connaissait la faune d’individus suspects, mi-trafiquants, mi-criminels, hantant ce genre de steamers où l’on avait plus de chances de recevoir un coup de couteau qu’une bonne parole, surtout quand on se trouvait sur le pont arrière. « Quelque querelle de joueurs de poker ou d’ivrognes, songea-t-il. À moins qu’il ne s’agisse de trafiquants d’ivoire occupés à solder leur dernière affaire… »
Soudain, un cri de femme s’éleva. Cette fois, l’homme sursauta et, d’un pas rapide, se dirigea vers l’endroit d’où venait l’appel. Là, une femme, une jeune fille plutôt, se trouvait aux prises avec un individu qui, s’il fallait en croire les apparences, tentait de la voler. Déjà, l’homme aux cheveux en brosse intervenait avec vigueur. De la main gauche, il saisit l’agresseur à l’épaule et le fit pivoter, pour aussitôt le frapper du poing droit. Touché à la pointe du menton, l’individu trébucha et alla s’affaler contre la cloison des cabines, où il demeura assis sur les talons. Pourtant, il ne fut pas long à récupérer. Le claquement sec d’un couteau automatique qu’on ouvre se fit entendre, un éclair d’acier brilla et, déjà, l’agresseur bondissait avec la soudaineté d’un diable hors de sa boîte à surprise.
L’homme aux cheveux en brosse s’effaça pour éviter la lame pointée vers sa poitrine. Il entendit nettement le crissement de l’acier glissant contre la manche de sa veste de grosse toile, mais déjà il avait saisi le bras de son adversaire et le frappait violemment contre la lisse. L’autre poussa un cri de douleur et lâcha le couteau, qui tomba dans le fleuve. Aussitôt, une lutte sauvage s’engagea entre les deux antagonistes, une lutte dans laquelle l’homme aux cheveux en brosse, plus vigoureux et rompu à toutes les ficelles du combat corps à corps, ne tarda pas à prendre l’avantage. Finalement, comprenant qu’il ne possédait aucune chance de vaincre, l’agresseur tourna les talons et, d’une brusque détente, bondit par-dessus la rambarde. L’homme aux cheveux en brosse entendit le « plouf ! » sourd de son corps qui touchait l’eau. « Les crocodiles ! » pensa-t-il. Déjà, plusieurs sillages sinistres traçaient de longues lignes argentées sur la surface noire du fleuve. Pourtant, le fuyard était excellent nageur, et il atteignit la berge sans encombre. Aussitôt, il se perdit parmi les feuillages. L’homme aux cheveux en brosse sourit doucement et haussa les épaules.
— Bah, murmura-t-il, qu’il aille se faire pendre ailleurs. Les individus de ce genre trouvent toujours leur châtiment. Si ce n’est pas par les crocodiles, ce sera d’une autre façon…
Il se tourna vers la jeune fille, qui avait assisté avec effroi à la lutte.
— Mon nom est Bob Morane, dit-il en anglais. Si je puis vous être utile en quoi que ce soit…
Tout en parlant, il la détaillait, admirant les beaux cheveux dorés sur lesquels les rayons de la lune jetaient de brefs reflets d’argent, le visage à l’ovale étroit et pur où les yeux, dont il ne parvenait pas à discerner la couleur, mettaient deux grandes taches d’ombre.
— Je m’appelle Leni Hetzel, disait la jeune fille. Je vous suis reconnaissante d’être venu à mon secours…
Elle parlait l’anglais avec un léger accent étranger. « Sans doute est-elle allemande, ou autrichienne, pensa Morane. Son nom le dit assez, d’ailleurs… » Mais la jeune fille avait continué à parler.
— On pourrait assassiner quelqu’un à bord de ce bateau sans que personne ne daigne intervenir.
Bob haussa les épaules.
— C’est le pays qui veut ça, dit-il. Ici, la vie humaine compte pour bien peu de chose.
Il tendit le menton vers la berge où avait pris pied le fuyard, pour demander :
— Que vous voulait cet homme ?
Leni Hetzel eut un mouvement de tête par lequel elle manifestait son ignorance.
— Je n’en ai pas la moindre idée, dit-elle. Cet individu a tenté de fouiller mes poches. Sans doute en voulait-il à mon argent. Par bonheur, celui-ci est en sécurité. D’ailleurs, il se compose en grande partie de travellers-chèques…
À ce moment, Morane aperçut un morceau de papier, plié en quatre, qui traînait sur le pont, à quelques centimètres à peine de son propre pied. Il se baissa et le ramassa.
— Cela vous appartiendrait-il, par hasard ? interrogea-t-il.
La jeune fille prit le papier, le déplia et, se tournant dans la lumière de la lune, y jeta un rapide coup d’œil. Aussitôt, elle eut une exclamation.
— La copie du document !…
Elle porta la main à la poche-poitrine de sa veste.
— Je l’avais rangée ici, dit-elle. Ma poche s’est ouverte et la copie sera tombée au cours de la lutte…
Elle replaça le papier dans sa poche et referma celle-ci. Entre la jeune fille et Morane il y eut un long moment de silence, puis le Français demanda, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre indifférente :
— Ne serait-ce pas à ce… document que votre agresseur en aurait eu, par hasard ?
Leni Hetzel parut interloquée, puis elle éclata d’un petit rire cristallin.
— Je sais ce que vous pensez, Monsieur Morane, dit-elle. Rassurez-vous, le document en question ne renseigne pas l’emplacement d’un trésor. Si mon agresseur avait été un paléontologiste, peut-être aurait-il pu être intéressé…
Cette fois, ce fut au tour de Morane de se sentir interloqué.
— Un paléontologiste, dit-il. Je ne vous comprends pas…
À nouveau, le rire clair de Leni Hetzel retentit.
— Peut-être commencerez-vous à comprendre quand vous saurez que je suis la fille du célèbre docteur Karl Hetzel…
Bob fronça les sourcils. Il se souvenait avoir lu, un an plus tôt, un article de presse concernant la mort d’un paléontologiste portant ce nom.
— Karl Hetzel, fit-il. Seriez-vous la fille de ce savant qui, peu avant la dernière guerre, a découvert, ici en Afrique, les ossements fossiles du plus grand de tous les reptiles connus, le… ? Du diable si je me souviens de son nom…
— Le brachyosaure, voulez-vous dire, Monsieur Morane ?… Vous ne vous trompez pas. Avant la découverte, faite par mon père, en 1938, ici même, en Centre-Afrique, le brachyosaure était considéré comme animal ayant vécu uniquement en Amérique. Quand mon père eut trouvé ses ossements en Afrique, il apporta en même temps un élément nouveau permettant de considérer la répartition des espèces animales à l’époque secondaire sous un jour entièrement neuf…
Morane hocha la tête.
— Si je me souviens bien, dit-il, d’après l’article que j’ai lu lors de la mort de votre père, celui-ci aurait été soupçonné de tromperie. Selon certains paléontologistes de renom, il aurait fait transporter secrètement des ossements de brachyosaure en Centre-Afrique, pour les y redécouvrir ensuite.
Une légère ombre passa sur le clair visage de la jeune Autrichienne.
— C’est ce qui a été dit en effet, fit-elle d’une voix sourde. Comme si l’on trouvait des os de brachyosaure chez le premier boucher venu… Pourtant, le mal était fait et, à l’heure actuelle, mon père est encore considéré par beaucoup comme un faussaire. C’est pour cette raison que je suis ici. Pour réhabiliter sa mémoire…
— Si je comprends bien, glissa Morane, vous voulez retrouver, vous aussi, des ossements de brachyosaure, et cela dans le seul but de prouver la bonne foi de votre père…
Leni Hetzel opina doucement de la tête.
— C’est quelque chose comme cela, en effet, Monsieur Morane, dit-elle. Pourtant, toute l’affaire n’est pas aussi simple. Mais montons sur le pont supérieur. Là, nous serons plus à l’aise pour parler. Croyez-moi, cette histoire ressemble fort à un roman d’aventures, et je suis certaine qu’elle vous intéressera…
En lui-même, Bob Morane trouvait que ce temps futur sur le verbe « intéresser » n’était guère de mise. Cette histoire ne l’intéresserait pas : elle l’intéressait déjà…
*
* *
Leni Hetzel et Bob Morane se trouvaient allongés à présent dans des transatlantiques, sur le pont supérieur. La nuit était chaude et l’air semblait avoir la consistance du goudron. Une grande chauve-souris s’était accrochée à la moustiquaire entourant le promenoir des premières classes et battait follement des ailes, à la façon d’un insecte collé à du papier tue-mouches.
— En 1938, commença la jeune Autrichienne, comme mon père s’en revenait à Walobo après avoir exhumé les ossements de brachyosaure qui devaient le rendre célèbre, il trouva dans la savane un squelette humain parfaitement nettoyé par les vautours. Non loin de ce squelette, il découvrit également une vieille veste de chasse, à demi dévorée par les termites et contenant encore des papiers d’identité, en fort mauvais état, établis au nom de Sam Cutter, et un petit carnet à couverture de toile dont la plupart des pages avaient, elles aussi, servi à corser le menu quotidien des termites. Ce fut dans ce carnet que mon père déchiffra le récit en question…
La jeune fille tira de la poche-poitrine de son vêtement le papier qui, tout à l’heure, avait intrigué Morane, le déplia et le tendit à son interlocuteur en disant :
— Lisez ceci…
À la lueur du lampadaire électrique éclairant le pont, Bob put lire aisément le texte, tapé à la machine, qui lui était soumis :
« … Après avoir contourné le territoire des redoutables Balébélés, mes hommes et moi nous sommes dirigés vers le nord, à partir de la première chute de la rivière Sangrâh. Au bout de six nouvelles journées de marche, nous avons alors atteint une large vallée désertique dont le fond, à notre grande stupéfaction, se révéla couvert de squelettes gigantesques. Tout d’abord, je crus avoir découvert ce légendaire cimetière des éléphants, dont parlent les vieux récits de chasse. Pourtant, après être descendu dans ladite vallée, il me fallut me détromper. Les ossements en question n’appartenaient pas à des éléphants. C’étaient, pour la plupart, des restes fossilisés de brontosaures, parmi lesquels je pus néanmoins identifier quelques squelettes de stégosaures et de tyrannosaures. Il s’agissait donc là d’un gigantesque ossuaire antédiluvien, qui ferait la fortune des plus grands musées mondiaux.
« C’est au fond de cette vallée, que je baptisai aussitôt du nom de « Vallée des Brontosaures », que nous découvrîmes l’entrée d’un étroit défilé… »
À cet endroit, le récit s’interrompait, et le transcripteur avait noté, entre parenthèses : « Plusieurs pages ont été dévorées par les termites ». Plus loin cependant, le texte reprenait :
« Depuis deux jours, je suis seul avec Cutter. Les porteurs nous ont abandonnés, effrayés par une bête mystérieuse, qu’ils appellent « Chipekwe » et qui, selon eux, serait un énorme et féroce lézard à tête de crocodile. Mais cet animal, peut-être mythique, ne nous épouvante guère, Cutter et moi. Ce que nous craignons, ce sont les Hommes-Léopards. Voilà une semaine qu’ils nous traquent, dans l’intention évidente de nous sacrifier à leurs totems…
(Ici, nouvelles déprédations des termites.)
« … j’ai interdit à Cutter d’emporter quoi que ce soit avec lui. Ce qu’il nous faut avant tout, c’est sauver nos vies. Le reste viendra plus tard. Nous allons tenter de regagner Walobo par nos propres moyens. Que le Ciel nous vienne en aide et nous permette d’échapper aux Hommes-Léopards et aux multiples dangers qui ne manqueront pas de se dresser sur notre route… »
Cette fois, le récit prenait fin définitivement. Morane replia le papier et le rendit à Leni Hetzel.
— Ceci me paraît en effet fort passionnant, fit-il, et je serais heureux de connaître la suite, s’il y en a une…
— Il y en a une, Monsieur Morane. De retour à Walobo, mon père apprit que ce Sam Cutter était parti, six mois auparavant, en compagnie d’un géologue américain, Lewis Porker, vers les jungles mal connues de l’est. Quatre mois plus tard, il était revenu, seul, en déclarant que Porker avait été tué par les Hommes-Léopards révoltés. Mais presque aussitôt, Cutter était reparti, toujours seul, en déclarant que, quand il reviendrait, s’il revenait, il serait riche…
Une fois de plus, Leni Hetzel s’arrêta de parler. Morane eut une moue dubitative.
— Je me demande ce que ce Sam Cutter pouvait retourner chercher dans la jungle, au risque d’y laisser sa vie, comme c’est arrivé d’ailleurs. Selon toute évidence, le récit que je viens de lire a été rédigé par Lewis Porker, le géologue, et Cutter se sera emparé du carnet après la mort de l’Américain. Cependant, cela ne nous dit toujours pas ce qu’il allait chercher de si précieux…
— Peut-être les ossements de brontosaures et autres dinosauriens gisant dans la vallée perdue, supposa Leni. En les revendant à des instituts scientifiques, il pouvait en tirer pas mal d’argent…
— Bien sûr, coupa Bob, et Cutter comptait ramener ces ossements sur ses épaules, sans doute… N’oubliez pas, Miss Hetzel, qu’il était reparti seul…
La jeune fille sourit et secoua la tête avec indifférence.
— Je ne l’oublie pas, Monsieur Morane, fit-elle d’une voix douce. Mais de toute façon, ce que Cutter allait chercher m’indiffère. Ce que je veux retrouver, c’est cette Vallée des Brontosaures et, en même temps, laver la mémoire de mon père.
— Que voulez-vous dire ? Comment pourriez-vous laver la mémoire de votre père en retrouvant la Vallée des Brontosaures ?
— Souvenez-vous, Monsieur Morane, que, dans son récit, Lewis Porker affirme que la vallée, en plus de nombreux ossements de brontosaures, contenait des squelettes de stégosaures et de tyrannosaures. Or, ces deux derniers dinosauriens sont considérés eux aussi comme ayant habité exclusivement le continent américain…
— Je comprends, fit Bob à son tour. Si vous réussissez à ramener un crâne de tyrannosaure ou de stégosaure, vous aurez fait la preuve que votre père n’était pas un menteur. Si l’on peut en effet découvrir des restes de ces deux sauriens en Afrique, il n’y a aucune raison pour que l’on ne puisse également y découvrir des restes de brachyosaure. Est-ce bien raisonné ?
Leni Hetzel secoua la tête affirmativement et, à nouveau, un sourire lumineux éclaira son fin visage.
— C’est parfaitement raisonné, en effet, Monsieur Morane, dit-elle. Après avoir été traité de faussaire par un grand nombre de ses confrères, mon père a voulu regagner le Centre-Afrique pour retrouver cette Vallée des Brontosaures dont parle le récit de Lewis Porker. Malheureusement, la guerre est survenue et, à la fin de celle-ci, après avoir passé plusieurs années dans un camp de concentration, mon pauvre père ne se trouvait plus en état de tenter la moindre expédition nécessitant un effort physique quelconque. Sur son lit de mort, il m’a demandé de partir à sa place pour la Vallée des Brontosaures. Voilà pourquoi je suis ici…
Bob Morane demeura un long moment sans parler. Il se sentait saisi de sympathie, et aussi de respect, pour cette jeune fille d’apparence si frêle et qui, pourtant, n’hésitait guère, dans le seul but de respecter la dernière volonté d’un mourant, à se lancer dans une aventure dangereuse devant laquelle beaucoup d’hommes, parmi les plus audacieux, auraient sans doute reculé.
— Vous êtes brave et courageuse, Miss Hetzel, dit enfin Bob. Pourtant, vous ne devez pas ignorer qu’une expédition comme celle que vous désirez entreprendre nécessitera une mise de fonds assez importante. Il vous faudra acheter du matériel, recruter des porteurs et, surtout, vous assurer les services d’un guide expérimenté… et désintéressé.
— Je n’ignore rien de tout cela, en effet. Mon père, en mourant, m’a laissée à l’abri du besoin, et je puis disposer de mon héritage à ma guise. Quant au guide désintéressé dont vous parlez, on m’a recommandé un certain Allan Wood, de Walobo…
— Je connais Allan Wood, fit Bob. C’est un de mes bons amis, et je me rends d’ailleurs chez lui en ce moment. Je puis vous garantir son honnêteté et sa grande connaissance de la jungle et de ses habitants. Mais voudra-t-il vous accompagner ? Tout est là… Je ne sais si vous avez lu les journaux, ces derniers temps. Les Aniotos ou Hommes-Léopards, font à nouveau parler d’eux. Wood est courageux, et même téméraire, mais il n’est pas fou. Si les Aniotos sont réellement trop menaçants, il refusera de vous accompagner…
La jeune Autrichienne haussa les épaules.
— Bah ! dit-elle, si votre ami refuse de me louer ses services, je trouverai bien un autre guide ! On m’a parlé d’un certain Peter Bald, qui habite lui aussi Walobo. Peut-être accepterait-il, lui, de m’accompagner. Il suffirait que les Hommes-Léopards continuent à semer la terreur pendant des années, comme cela s’est déjà vu, pour que, pendant tout ce temps, mon père continue à passer pour un faussaire et un menteur… Voyez-vous, Monsieur Morane, j’ai décidé de gagner sans retard cette Vallée des Brontosaures, et rien ne pourra me faire reculer.
Bob étendit ses longues jambes devant lui et ferma les yeux. Il admirait toujours davantage le courage de Leni Hetzel, et il fit des vœux pour que, le lendemain, à Walobo, son ami Allan Wood acceptât de l’accompagner, même si cela devait contrecarrer ses propres desseins de chasseur d’images…